Deux critères ont orienté la rédaction de ce parcours ludique : la qualité des jeux proposés et surtout leur accessibilité au plus grand nombre et aux néophytes. Lancez-vous avec nous et, peut-être, prenez goût à cette nouvelle culture qui offre de nombreux autres jeux à découvrir et des expériences pour tous les publics. Ce ne sont que quelques destinations, nous espérons qu’elles vous donneront envie de faire le tour du monde !
VOUS AIMEZ LE CINÉMA ?
Limbo (2010), du studio Playdead, est un jeu envoûtant, à la musique minimaliste composée des réactions du monde aux actions du joueur, aux graphismes intenses et à la direction artistique hommage au cinéma expressionniste des années 1920 (oui, oui, vous avez bien lu !). Rien ne vous sera expliqué, à vous de parcourir ces limbes sinistres en y résolvant de petites énigmes dans ce jeu de plateforme devenu une référence.
La série des mythiques Gran Theft Auto (depuis 1997) — la référence de l’« open world » ou « jeu bac à sable » où le joueur est libre de pratiquer le jeu comme il l’entend — ou les plus anciens Lemmings (depuis 1991) sont issus du studio britannique Rockstar Games qui s’est spécialisé dans l’irrévérence et la critique sociale cachées sous un mauvais goût assumé. Leur chef‑d’œuvre Red Dead Redemption (2010) revisite la « conquête de l’Ouest » en accumulant les histoires à vous désespérer de l’humanité racontées avec un humour anarchiste. Un titre typique du style Rockstar, producteur de triple‑A1, des jeux pour le grand public au budget pharaonique (entre 70 et 150 millions $ hors promotion), au ton et à l’univers violemment subversifs. Agressif, mal élevé mais subtil et frappant souvent juste dans son analyse du rêve américain, le studio Rockstar est une référence incontournable.
Longtemps, les jeux à licence ont porté haut le drapeau de l’infamie et de la médiocrité. Et puis tout a changé. Après avoir rôdé sa formule du jeu d’aventure pour tous pendant des années, ses membres sont de vieux briscards du genre, le studio Telltale Games a produit le jeu épisodique Walking Dead en 2012. Coup de maître qui, de manière accessible à tous les joueurs, raconte une histoire fondée sur le lien avec les personnages, les choix tragiques et les émotions qu’ils provoquent. Sorti cette année, le français Life is strange, édité par Dontnod, transpose avec brio cette formule dans l’univers des films américains indépendants sur le lycée et la fin de l’adolescence.
VOUS AIMEZ RÉFLÉCHIR ET RÉSOUDRE DES ÉNIGMES ?
Loin des clichés sur sa violence, le jeu vidéo permet aussi de gentiment se triturer les méninges, souvent en découvrant des univers originaux. La série Myst proposée depuis 1993 par Cyan Worlds avait d’ailleurs été l’une des premières à proposer cette alliance entre réflexion et voyage, un mélange dont le succès avait été porté par une majorité de joueuses. Plus près de nous, Braid de Jonathan Blow, sorti en 2008, est le premier jeu « indé » à percer commercialement et à être reconnu par l’ensemble de la presse spécialisée, propose sous la forme d’un jeu de plateforme hommage aux grands classiques un voyage à travers différents tableaux-énigmes. Avec ses graphismes inspirés par l’impressionnisme, son mécanisme de jeu fondé sur l’utilisation du temps et ses questions philosophiques, Braid vous touchera et vous questionnera. Autres jeux mélangeant action et réflexion, les deux Portal du studio Valve (2007 et 2011) vous plongent dans une dystopie déshumanisée où s’échapper de salles d’expérimentation vous demandera de jouer avec un système de téléportation profondément intelligent. Et cette intelligence, Sokobond (Hazelden, Lee et Roth, 2014) la titillera aussi en jouant avec les principes de la chimie pour résoudre ses nombreux puzzles.
VOUS AIMEZ PASSER DES MOMENTS CONVIVIAUX EN FAMILLE OU ENTRE AMIS ?
On reproche souvent aux jeux vidéo d’enfermer les joueurs dans l’univers infra-écran, de les couper du reste du monde. C’est mal connaître les « party games », ces titres conçus comme des jeux de société survitaminés où le spectacle se déploie autant devant l’écran que dessus. Prenez vos manettes pour une ambiance aussi compétitive que coopérative. Mario Kart (depuis 1992) et Mario Party (depuis 1998) de Nintendo, les deux séries référentielles du genre, offrent des moments de joyeux délire autour de courses moteur ou de mini-jeux pour tous les publics. Encore plus fous, SpeedRunners de DoubleDutch Games et Tower Fall Ascension de Matt Makes Games, tous deux sortis en 2013, transformeront votre salon en stade olympique avec leurs parties courtes et très intenses au gameplay2 et à la prise en main évidents. Enfin, un léger cocorico avec le jeu Domiverse du studio belge Haunted Tie, une petite perle gorgée d’humour au gameplay imparable sorti en 2015.
VOUS APPRÉCIEZ LA POLÉMIQUE ET LA POLITIQUE ?
Inoffensifs et soutien de la pensée dominante les jeux vidéo ? Aussi mais pas seulement. Avec les nouvelles formes de diffusion, sites accueillant les jeux gratuits et plateformes de téléchargement, des auteurs aux idées politiques affirmées se sont emparés du média pour des résultats détonants.
Jetez un œil sur le site du collectif italien Molleindustria pour découvrir des jeux courts à propos des scandales pédophiles au sein de l’Église, du droit à porter des armes, des liens entre néocolonialisme et fabrication des smartphones, du « modèle social » des fast-foods McDonald’s etc. Le tout dans une ambiance cartoon qui contraste avec la violence des thématiques. En ne versant jamais dans le didactisme, ces jeux déploient une grande force d’impact, le joueur se confrontant aux idées des auteurs par les actions qu’il pose et la brutalité de leurs conséquences.
Autres références glaçantes, PeaceMaker produit par ImpactGamesen 2007 et Paper, Please par Lucas Pope en 2013, deux simulations qui impliquent le joueur émotionnellement en le plaçant aux commandes de situations tragiques. Le premier vous invite à résoudre le conflit israélo-palestinien sans violence, le second vous fait incarner le douanier d’un État totalitaire confronté à des choix dramatiques. Une nouvelle fois, l’intelligence et la qualité du propos sont parfaitement servies par les mécanismes de jeu, véritable lien entre les auteurs et les joueurs.
VOUS ÊTES ATTIRÉ PAR LES EXPÉRIMENTATIONS ARTISTIQUES ?
Audacieux, innovant, accessible ou underground, questionnant le joueur et ses représentations ainsi que ses habitudes, les créations de Jason Rohrer et Anna Anthropy tentent toujours de créer un pont avec le joueur et de lui proposer une expérience honnête et profonde avec des moyens parfois désarmants de simplicité visuelle. Vous pouvez jouer à la plupart de leurs jeux gratuitement sur leur site respectif et si vous hésitez, tentez Passage (2007) de Jason Rohrer pour vivre votre vie en quelques minutes, et Mighty Jill Off (2008) d’Anna Anthropy qui vous initiera à d’autres formes de sexualité à travers un gameplay punitif.
Le studio belge Tale of Tales, l’un des plus emblématiques représentant du jeu vidéo comme art dont le parcours vidéoludique étalé sur 13 années d’expérimentations, d’audaces et de polémiques vient de s’achever en juin 2015 après un nouvel échec commercial. Basé à Gand, invité à la Biennale de Venise, intervenant souvent dans les médias avec des discours tranchés, habitué des polémiques et des articles dans les plus grands médias, initiateur du projet Notgames au nom explicite, Tale of Tales est une source de passion, haine comme amour. Plusieurs de leurs jeux sont accessibles gratuitement sur leur site internet mais nous vous conseillons leur dernier titre Sunset (2014), le plus abouti, et surtout leur titre le plus personnel, The Path (2009), qui vous transportera dans un voyage visuel et sonore à travers une relecture du Petit Chaperon rouge.
Enfin, pour les plus curieux, essayez The Stanley Parable réalisé par Galactic Cafe et édité en 2013 dont nous ne dirons rien si ce n’est qu’il est instantanément devenu l’incarnation du jeu qui questionne le quatrième mur. Le A bout de souffle vidéoludique !
VOUS ÊTES ATTIRÉ PAR LES VOYAGES ESTHÉTIQUES ?
Longtemps cantonné aux polémiques faciles et au mépris dédié à son statut de sous-culture puérile, le jeu vidéo a connu plusieurs secousses (Another World réalisé par Eric Chahi en 1991, LSD Dream Emulator par OutSide Directors Company en 1998, Vib-Ribbon par NanaOn-Sha en 1999, Rez par Sega en 2001) avant le tremblement de terre Ico. Dans Ico,produit par Team Ico en 2001, le joueur incarne un adolescent perdu dans une cité abandonnée qu’il arpente avec une jeune femme sans qu’ils ne se comprennent. La qualité de l’interaction, la poésie de l’ambiance et du rapport au monde, la beauté des environnements ainsi que la force de frappe de Sony ont concouru à élever le jeu au statut d’œuvre reconnue par l’ensemble de la critique spécialisée comme généraliste. Une référence encore aujourd’hui. Vous pouvez aussi goûter au charme mélancolique de sa suite spirituelle Shadow of the Colossus réalisée en 2005 par la même équipe, ainsi qu’aux jeux du studio Thatgamecompany qui développent un même rapport à la découverte de mondes : flOw (2006) et Flower (2009) qui vous plongent dans les rêves d’une fleur ainsi que son chef‑d’œuvre Journey (2012). Des jeux qui offrent des gameplays non-violents fondés sur l’exploration et l’émerveillement et qui plairont aux plus curieux d’entre vous.
Un dernier mot sur l’un des genres les plus polémiques du jeu vidéo, les « walking games », où il s’agit d’arpenter des endroits souvent magnifiques à l’interaction réduite au minimum au service d’histoires très personnelles. Parmi d’autres, Dear Esther (TheChineseRoom, 2012), Proteus (Key & Kanaga, 2013) et l’encensé Gone Home (The Fullbright Company, 2013) proposent de courts mais intéressants voyages virtuels.
VOUS CHERCHEZ DES EXPÉRIENCES LUDIQUES SIMPLES ET ACCESSIBLES SANS INVESTIR DANS UNE CONSOLE OU UN ORDINATEUR… HEU, VOUS DISPOSEZ D’UNE TABLETTE OU D’UN SMARTPHONE QUOI !
Au milieu des années 2000, les supports tactiles ont révolutionné les jeux vidéo en touchant un tout autre public, en créant un autre rapport au jeu qui se joue dorénavant partout tout le temps et en bouleversant les modèles économiques établis jusque-là. Aujourd’hui submergés sous la quantité d’une vaste production, plus de 1000 titres sortent par jour, et la médiocrité de « snack games » et de « free-2-play » plus proches de l’arnaque que de l’amusement, les tablettes et smartphones accueillent aussi d’excellents titres. Petite sélection : Soldats Inconnus (Ubisoft, 2014) joli jeu d’aventure pour tous sur la Première Guerre Mondiale, Monument Valley (ustwo, 2014) superbe jeu de réflexion hommage au peintre Escher, Plants vs Zombies (PopCap Games, 2009) ou la stratégie pour tous, Luxuria Superbia (Tale of Tales, 2013) sublime métaphore sur la sensualité féminine qui distille le trouble pour qui la touche, Canabalt (Semi Secret Software, 2009) le père des « runners », et enfin tous les titres du studio tchèque Amanita Design aux graphismes sublimes et à l’ambiance éthérée imprégnés de leur cinéma d’animation national.
- Équivalent dans l’industrie vidéoludique des blockbusters de l’industrie cinématographique.
- Ensemble des moyens mis à la disposition du joueur pour interagir avec le jeu et son univers.