Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de puissants courants de pensée traversent le continent européen en recherche d’une reconstruction à même d’assurer la paix. Nombre de projets vont être lancés, qui donneront notamment naissance à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) puis à la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’actuelle Union européenne. Portée par ce mouvement et animée par des idées humanistes, pacifistes ainsi que technologiques et économiques, l’Union de Radio-Télévision (UER) voit le jour en 1950. Elle vise à réaliser des économies d’échelle entre les différentes radios-télévisions nationales, à développer une technologie propre au continent ainsi qu’à participer à la découverte réciproque des cultures européennes. Mais aussi, Guerre froide oblige, à concurrencer l’Organisation Internationale de Radiodiffusion (OIR) créée sous l’égide soviétique.
Si ses missions d’unification économique et technologique rencontrent rapidement le succès, l’UER souhaite ne pas s’y réduire et cherche à créer un évènement emblématique. Après avoir hésité avec un festival de cirque sur le modèle de Monte-Carlo, l’organisation va décider le lancement d’un concours de chansons en s’inspirant de celui de Sanremo. Le concours Eurovision de la chanson est né et sa première édition se tiendra en 1956. On notera que le terme Eurovision, inventé en 1951 par un journaliste anglais pour décrire un évènement britannique retransmis sur la télévision publique néerlandaise, va s’imposer pour décrire le seul concours de chansons alors qu’il recouvre plus précisément l’ensemble des dispositifs mis en place par l’UER.
UN ÉVÈNEMENT ÉGALITAIRE ?
Contrairement aux volontés politiques qui structurent sa création, beaucoup de caractéristiques de l’Eurovision (système de vote, interdiction de voter pour son propre pays, trois minutes de durée maximale des chansons…) découlent de décisions prises en raison du média télévisuel. Ces décisions sont souvent adoptées lors d’éditions de la première décennie de l’évènement puis se transforment en traditions jusqu’à devenir des rituels constitutifs de l’identité de l’Eurovision.
Une tradition sera toutefois remise en question à plusieurs reprises, celle de la langue des chansons. Initialement, les artistes interprétaient leur morceau dans leur langue nationale. Avant qu’un scandale n’éclate en 1965, la Suède ayant concouru en anglais, et qu’un changement de règlement n’impose dès l’année suivante le recours à la langue du pays participant. Règle qui durera jusqu’en 1973 avant de revenir en 1977 et d’être finalement abolie en 1999. Dommage pour le seul évènement international diffusant du bosnien, du danois ou du maltais. Quant à la présentation de l’Eurovision, seule la première édition se déroula en italien, l’anglais et le français s’imposant par la suite comme langues officielles du concours sur décision de l’UER.
L’imposition de deux langues à la présentation de l’Eurovision amène à revenir sur une autre caractéristique profondément politique du concours : le traitement égalitaire des pays participants. En effet, les règles et l’organisation de l’Eurovision découlent de compromis négociés entre les diffuseurs nationaux, avec l’implication occasionnelle des gouvernements, tandis que son déroulement donne à chaque pays le même nombre de votes, les mêmes chances de gagner ou d’être éliminé. Il faudra attendre l’année 2000 pour que, poussée par des raisons financières et d’audimat, l’UER différencie les pays entre eux dans leur accès des demi-finales à la finale. En effet, depuis cette année-là et contrairement aux autres participants, les Big Four (France, Allemagne, Espagne et Grande-Bretagne), devenus Big Five avec l’ajout de l’Italie, sont automatiquement qualifiés pour la finale tout comme le pays hôte de l’Eurovision. Il s’agit là d’un changement majeur dans l’optique égalitaire de la compétition qui pratique dorénavant un traitement différencié des pays. Un changement comparable au fonctionnement des institutions de l’Union européenne, mais réalisé pour des raisons économiques et non politiques.
On le voit, l’Eurovision est structurée par nombre d’idées et d’idéaux proches de ceux portés par l’Union européenne : culture du compromis et égalité relative entre pays, libéralisation des échanges et compétition, ouverture et valorisation culturelles, uniformisation et mise en commun technologiques, réduction des coûts de production dans une logique libérale, rapprochement des peuples et de leurs médias dans une structure commune et organisée sur le modèle fédéral. Derrière son spectacle pailleté et son second degré, l’Eurovision incarne bien un évènement politique majeur.
Sources
Patrick Alves, L'Union Européenne de Radiodiffusion, 1950-1969 : Une approche internationale et communautaire de la télévision, Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin n°26.
Eléonore Aparicio, Eurovision 2024 : fondateurs, vainqueurs, votes... Tout savoir sur le concours, RTL.
Justine Audollent, Eurovision 2024 : qu'est-ce que le "Big Five" dont la France fait partie ?, RTL.
Marine Jeannin, L'Eurovision : histoire d'un concours créé pour renforcer les liens de l'Europe, Magazine Géo.
Wikipédia, articles Union européenne de radio-télévision et Histoire du Concours Eurovision de la chanson.
Retrouvez les autres épisodes de cette série consacré à l'Eurovision :
Ep. 1 - "L’Eurovision a toujours été politique"
Ep. 2 - "Géopolitique des paillettes"