Série : "L’eurovision : J’aime, j’aime la politique !"

Épisode 1 : L’Eurovision a toujours été politique

Illustration : Vanya Michel

Spec­tacle siru­peux et kitsch, attri­bu­tion des points inter­mi­nable, pres­ta­tions chaque année plus déca­lées, l’Eurovision est tout cela et bien plus. Mais le concours euro­péen de la chan­son se révèle aus­si un pro­jet pro­fon­dé­ment poli­tique des ori­gines à nos jours, aspect nié par les orga­ni­sa­teurs et blâ­mé par les polé­mistes média­tiques. À tra­vers une série d’articles, Agir par la culture se pro­pose de reve­nir sur cette dimen­sion du plus grand évè­ne­ment télé­vi­suel euro­péen. Pre­mier épi­sode : L’Eurovision a tou­jours été politique.

Au sor­tir de la Seconde Guerre mon­diale, de puis­sants cou­rants de pen­sée tra­versent le conti­nent euro­péen en recherche d’une recons­truc­tion à même d’assurer la paix. Nombre de pro­jets vont être lan­cés, qui don­ne­ront notam­ment nais­sance à la Com­mu­nau­té Euro­péenne du Char­bon et de l’A­cier (CECA) puis à la Com­mu­nau­té éco­no­mique euro­péenne (CEE), ancêtre de l’actuelle Union euro­péenne. Por­tée par ce mou­ve­ment et ani­mée par des idées huma­nistes, paci­fistes ain­si que tech­no­lo­giques et éco­no­miques, l’Union de Radio-Télé­vi­sion (UER) voit le jour en 1950. Elle vise à réa­li­ser des éco­no­mies d’échelle entre les dif­fé­rentes radios-télé­vi­sions natio­nales, à déve­lop­per une tech­no­lo­gie propre au conti­nent ain­si qu’à par­ti­ci­per à la décou­verte réci­proque des cultures euro­péennes. Mais aus­si, Guerre froide oblige, à concur­ren­cer l’Organisation Inter­na­tio­nale de Radio­dif­fu­sion (OIR) créée sous l’égide soviétique.

Si ses mis­sions d’unification éco­no­mique et tech­no­lo­gique ren­contrent rapi­de­ment le suc­cès, l’UER sou­haite ne pas s’y réduire et cherche à créer un évè­ne­ment emblé­ma­tique. Après avoir hési­té avec un fes­ti­val de cirque sur le modèle de Monte-Car­lo, l’organisation va déci­der le lan­ce­ment d’un concours de chan­sons en s’inspirant de celui de San­re­mo. Le concours Euro­vi­sion de la chan­son est né et sa pre­mière édi­tion se tien­dra en 1956. On note­ra que le terme Euro­vi­sion, inven­té en 1951 par un jour­na­liste anglais pour décrire un évè­ne­ment bri­tan­nique retrans­mis sur la télé­vi­sion publique néer­lan­daise, va s’imposer pour décrire le seul concours de chan­sons alors qu’il recouvre plus pré­ci­sé­ment l’ensemble des dis­po­si­tifs mis en place par l’UER.

UN ÉVÈNEMENT ÉGALITAIRE ?

Contrai­re­ment aux volon­tés poli­tiques qui struc­turent sa créa­tion, beau­coup de carac­té­ris­tiques de l’Eurovision (sys­tème de vote, inter­dic­tion de voter pour son propre pays, trois minutes de durée maxi­male des chan­sons…) découlent de déci­sions prises en rai­son du média télé­vi­suel. Ces déci­sions sont sou­vent adop­tées lors d’éditions de la pre­mière décen­nie de l’évènement puis se trans­forment en tra­di­tions jusqu’à deve­nir des rituels consti­tu­tifs de l’i­den­ti­té de l’Eurovision.

Une tra­di­tion sera tou­te­fois remise en ques­tion à plu­sieurs reprises, celle de la langue des chan­sons. Ini­tia­le­ment, les artistes inter­pré­taient leur mor­ceau dans leur langue natio­nale. Avant qu’un scan­dale n’éclate en 1965, la Suède ayant concou­ru en anglais, et qu’un chan­ge­ment de règle­ment n’impose dès l’année sui­vante le recours à la langue du pays par­ti­ci­pant. Règle qui dure­ra jusqu’en 1973 avant de reve­nir en 1977 et d’être fina­le­ment abo­lie en 1999. Dom­mage pour le seul évè­ne­ment inter­na­tio­nal dif­fu­sant du bos­nien, du danois ou du mal­tais. Quant à la pré­sen­ta­tion de l’Eurovision, seule la pre­mière édi­tion se dérou­la en ita­lien, l’anglais et le fran­çais s’imposant par la suite comme langues offi­cielles du concours sur déci­sion de l’UER.

L’imposition de deux langues à la pré­sen­ta­tion de l’Eurovision amène à reve­nir sur une autre carac­té­ris­tique pro­fon­dé­ment poli­tique du concours : le trai­te­ment éga­li­taire des pays par­ti­ci­pants. En effet, les règles et l’organisation de l’Eurovision découlent de com­pro­mis négo­ciés entre les dif­fu­seurs natio­naux, avec l’implication occa­sion­nelle des gou­ver­ne­ments, tan­dis que son dérou­le­ment donne à chaque pays le même nombre de votes, les mêmes chances de gagner ou d’être éli­mi­né. Il fau­dra attendre l’année 2000 pour que, pous­sée par des rai­sons finan­cières et d’audimat, l’UER dif­fé­ren­cie les pays entre eux dans leur accès des demi-finales à la finale. En effet, depuis cette année-là et contrai­re­ment aux autres par­ti­ci­pants, les Big Four (France, Alle­magne, Espagne et Grande-Bre­tagne), deve­nus Big Five avec l’ajout de l’Italie, sont auto­ma­ti­que­ment qua­li­fiés pour la finale tout comme le pays hôte de l’Eurovision. Il s’agit là d’un chan­ge­ment majeur dans l’optique éga­li­taire de la com­pé­ti­tion qui pra­tique doré­na­vant un trai­te­ment dif­fé­ren­cié des pays. Un chan­ge­ment com­pa­rable au fonc­tion­ne­ment des ins­ti­tu­tions de l’Union euro­péenne, mais réa­li­sé pour des rai­sons éco­no­miques et non politiques.

On le voit, l’Eurovision est struc­tu­rée par nombre d’idées et d’idéaux proches de ceux por­tés par l’Union euro­péenne : culture du com­pro­mis et éga­li­té rela­tive entre pays, libé­ra­li­sa­tion des échanges et com­pé­ti­tion, ouver­ture et valo­ri­sa­tion cultu­relles, uni­for­mi­sa­tion et mise en com­mun tech­no­lo­giques, réduc­tion des coûts de pro­duc­tion dans une logique libé­rale, rap­pro­che­ment des peuples et de leurs médias dans une struc­ture com­mune et orga­ni­sée sur le modèle fédé­ral. Der­rière son spec­tacle paille­té et son second degré, l’Eurovision incarne bien un évè­ne­ment poli­tique majeur.

Retrouvez les autres épisodes de cette série consacré à l'Eurovision :

Ep. 1 - "L’Eurovision a toujours été politique"

Ep. 2 - "Géopolitique des paillettes"

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