Le journal de guerre d'Hossam al-Madhou

Ecrire depuis Gaza sous les bombes

Illustration : Maisara Baroud

Depuis le début de la guerre, Hos­sam al-Madhoun, comé­dien et met­teur en scène gazaoui, tra­vailleur socio­cul­tu­rel et fon­da­teur du Thea­ter for Eve­ry­bo­dy, trans­met chaque jour son jour­nal de bord à ses ami·es européen·nes grâce à des par­te­naires du théâtre action belge. Des textes bruts qui ont été repris dans plu­sieurs médias dont Le Soir ou Média­part. Ega­le­ment lues sur les réseaux sociaux ou en lec­tures publiques, ses anec­dotes coup de poing reflète un quo­ti­dien sous ten­sion et fait de dan­gers per­ma­nents. Les dévas­ta­tions et la mort mais aus­si la débrouille, la chance, des moments de vie aus­si qui se glissent dans les inter­stices de l’horreur. Ses mots racontent à la fois la vie au jour le jour d’un habi­tant de Gaza mais aus­si le drame vécu par l’ensemble de la popu­la­tion. L’occasion aus­si de par­fois prendre du recul sur les injus­tices totales que les Palestinien·nes subissent à Gaza et les lâche­tés de l’Occident qui détourne les yeux. « J’écris parce que je suis vivant. J’écris parce que ça me fait sen­tir que je suis vivant. J’écrirai jusqu’à ce que mes yeux se ferment pour la der­nière fois… Je conti­nue­rai d’écrire. » Une par­ties de son jour­nal (octobre-décembre 2023) a été publiée dans Je vous écris de Gaza sous les bombes (Le Ceri­sier, 2023). Après avoir réus­si à fuir Gaza pour gagner l’Egypte, Hos­sam al-Madhoun conti­nue de rap­por­ter ce qui se passe dans la bande de Gaza via les récits de proches qu’il col­lecte. En voi­ci quelques extraits

27 octobre 2023

Allon­gé sur le mate­las dans l’obscurité avec seule­ment une légère lumière pro­ve­nant d’une pauvre petite bou­gie. J’ai fer­mé les yeux, espé­rant m’endormir, mais cela ne marche pas. Deux jours et deux nuits sans une seule minute de sommeil.

Il est éton­nant de consta­ter à quel point les sens humains deviennent plus aigus et plus sen­sibles lorsque vous en per­dez un. Comme les per­sonnes aveugles dont l’ouïe devient plus fine. C’est ce qui m’est arri­vé en fer­mant les yeux.

Pen­dant la jour­née, il y a beau­coup de bruit, beau­coup de sons : des sons de conver­sa­tions, de paroles, de cris, de bom­bar­de­ments, d’explosions, de drones, de forces aériennes qui découpent le ciel en mor­ceaux. Tous mélan­gés, de sorte que l’on ne peut se concen­trer sur aucun d’entre eux.

Dans l’obscurité, dans le silence sup­po­sé­ment total, et alors que j’étais allon­gée avec les yeux fer­més, j’ai com­men­cé à me concen­trer davan­tage sur les sons qui m’entouraient : le bruit d’une feuille de plas­tique recou­vrant la fenêtre à la place du verre qui se déplace sous l’effet de la brise noc­turne ; la res­pi­ra­tion et les sou­pirs de ma mère à côté de moi ; les bat­te­ments de mon cœur ; le coui­ne­ment des blattes des champs ; le bruit d’un oiseau qui rentre tar­di­ve­ment dans son nid ou qui s’envole de son nid à cause d’un bruit d’explosion ; un petit bébé qui pleure chez le voi­sin et sa mère qui le berce ; le balan­ce­ment des branches des arbres qui bougent légè­re­ment ; le cri d’un hibou qui vient de loin ; les chiens errants qui deviennent fous et aboient lorsqu’une bombe explose ; le bruit de quelques chats qui se battent.

Tous ces sons sont syno­nymes de vie, d’espoir, de len­de­mains qui chantent mal­gré tout.

D’autres sons viennent s’ajouter à tous les autres sons, les fai­sant dis­pa­raitre, occu­pant l’air et l’atmosphère, enva­his­sant le silence pour dire que la mort arrive, le son du drone mili­taire, dont le seul son simi­laire est celui de la machine à raser élec­trique, mul­ti­plié par cent, rem­plis­sant l’espace de son bruit aga­çant que per­sonne ne peut igno­rer, ne serait-ce que l’espace d’un ins­tant. Toute créa­ture vivante est obli­gée de l’entendre, tout le temps : les humains, les ani­maux, les oiseaux, les arbres, même les pierres pour­raient cra­quer à cause de la folie que ce son pro­voque. Cela ne me rap­pelle qu’une chose : la lente mise à mort par la tor­ture au Moyen-Âge.

Les avions mili­taires qui passent, F 15 – F 16 – F 32 F je ne sais quoi, coupent le ciel comme un cou­teau tra­verse un mor­ceau de beurre, empor­tant la mort par­tout où ils passent.

Le bruit des obus d’artillerie : boum. Chaque obus pro­duit en réa­li­té trois sons, l’écho du son répé­té : boum, boum, boum, com­men­çant fort et s’éteignant en trois temps. Le bruit des fusées, très fort, très net. Si vous l’entendez, c’est que vous êtes en vie ! Il est si rapide que si la roquette vous frap­pait, vous ne l’entendriez pas.

Lorsque quelqu’un à Gaza entend une roquette, il sait immé­dia­te­ment qu’elle a tou­ché d’autres per­sonnes, lais­sant der­rière elle la mort et la des­truc­tion. Nous le savons tous par expé­rience, nous l’avons appris à nos dépens au cours de plu­sieurs guerres contre Gaza.

S’installer dans le noir en essayant d’ignorer les bruits de la mort et se concen­trer sur les petits bruits de la vie, ce n’est pas facile, mais c’est ma façon de pas­ser la nuit en espé­rant vaincre l’insomnie pen­dant quelques heures.

12 décembre 2023 (Un jeune analyste politique et militaire)

Ma femme Abeer fait un tra­vail for­mi­dable, elle gère, faci­lite et sou­tient une grande équipe de conseillers, de tra­vailleurs sociaux, d’in­fir­mières, de phy­sio­thé­ra­peutes, d’a­ni­ma­teurs, d’er­go­thé­ra­peutes et de tra­vailleurs en réadap­ta­tion dans les centres d’hé­ber­ge­ment de la zone inter­mé­diaire grâce à son tra­vail à Huma­ni­té et inclu­sion. J’as­sure éga­le­ment le sui­vi et le sou­tien d’une équipe de conseillers et de tra­vailleurs sociaux dans la zone cen­trale et dans le sud grâce à mon tra­vail au Centre de déve­lop­pe­ment MAAN.

Nous sommes accueillis par le Dr Raa­fat Alay­di, direc­teur de l’hô­pi­tal al-Wafa du camp de Nusei­rat. C’est un homme for­mi­dable, on sent qu’il ne dort jamais, qu’il bouge tout le temps, qu’il gère une énorme équipe de méde­cins, d’in­fir­mières, d’employés, qu’il se pro­cure tout ce dont l’hô­pi­tal a besoin autant qu’il le peut, qu’il contacte toutes les ONG et tous les dona­teurs tous les jours, qu’il s’as­sure de la nour­ri­ture et des besoins de base de tout son personnel.

Comme ma femme et moi n’a­vons pas d’an­tennes de nos orga­ni­sa­tions à Nusei­rat, il n’a pas hési­té à nous offrir un local équi­pé d’élec­tri­ci­té et d’in­ter­net pour faci­li­ter notre travail.

Après la longue jour­née à l’hô­pi­tal d’al-Wafa. Comme nous n’a­vons pas d’élec­tri­ci­té, pas de réfri­gé­ra­teur et que nous ne pou­vons pas sto­cker de légumes frais, nous devons ache­ter ce dont nous avons besoin au jour le jour. Après une longue jour­née, nous mar­chons deux kilo­mètres et demi pour ren­trer à la mai­son, par­fois nous trou­vons un âne qui tire une char­rette en bois, alors nous mon­tons à bord, par­fois nous ne le fai­sons pas et nous mar­chons en por­tant nos sacs avec les ordi­na­teurs por­tables et tout ce que nous avons ache­té pour le lendemain.

Aujourd’hui, heu­reu­se­ment, après 20 minutes de marche, nous avons trou­vé un âne qui se ren­dait dans le quar­tier de Sawa­rha où nous vivons. Il nous aver­tit que les frais sont de 3 she­kels cha­cun, nous avons accep­té. Après quelques minutes, nous enten­dons une énorme explo­sion qui nous effraye. Abeer dit invo­lon­tai­re­ment que c’é­tait très proche.

Le jeune ânier, qui était très déten­du, a dit :

_ « Non, c’est à au moins 1 km au sud, c’est loin.

Abeer dit : Com­ment le sais-tu ?

_ Je le sais, c’est tout. Tu devrais être capable de le savoir aussi.

_ Pour­quoi devrions-nous le savoir ?

_ C’est la pre­mière fois que vous assis­tez à une guerre à Gaza, vous n’êtes pas d’ici ?

_ Si, nous sommes d’ici.

_ C’est étrange, alors, tu devrais être capable d’i­den­ti­fier le son des explo­sions et de mesu­rer où il se trouve. Tu devrais aus­si être capable de dif­fé­ren­cier le son des mis­siles et celui des roquettes.

_ Com­ment t’appelles-tu ?

_ Ahmad.

_ Quel âge as-tu ?

_ 9 ans.

_ Tu vas à l’école ?

Ahmad : Plus main­te­nant car les classes sont deve­nues des abris, mais sinon bien sûr, je suis en qua­trième année de pri­maire à l’école.

_ Et main­te­nant ? Qu’est-ce que tu fais ?

_ Comme tu le vois, j’aide ma famille à avoir des reve­nus après la mort de mon père.

_ Quand est-il mort ?

_ Il y a deux semaines, quand ils ont atta­qué le super­mar­ché de Nusei­rat il pas­sait par là quand c’est arrivé.

_ Tu as des frères ?

_ Oui (en mon­trant l’autre gar­çon), c’est Hasan, mon frère ainé, deux sœurs plus jeunes sont à la mai­son et ma mère.

_ Que penses-tu qu’il va se pas­ser Ahmad ?

_ Eh bien, le rêve des Israé­liens est de voir Gaza se vider par tous les moyens. Ils vont conti­nuer à frap­per, à bom­bar­der, à détruire, à tuer jus­qu’à ce qu’ils nous poussent dehors ou nous tuent tous.

_ Et que penses-tu que nous devrions faire ?

_ Faire ce que nous fai­sons main­te­nant, res­ter et vivre. »

12 décembre 2023 (Mauvais fils)

Oui, ma mère est en colère contre moi, et elle a rai­son, je suis un mau­vais fils.

Je suis ren­tré du tra­vail aujourd’­hui et elle pleu­rait. Oui, ma mère de 83 ans pleu­rait. Au début, elle a refu­sé de dire pour­quoi, elle n’ar­rê­tait pas de dire : « Je veux ren­trer chez moi, rame­nez-moi chez moi. »

Je lui ai expli­qué plu­sieurs fois que c’é­tait deve­nu impos­sible, depuis que nous avons quit­té notre mai­son à Gaza le 12 octobre, et que nous sommes venus ici à Nusei­rat. Je lui ai dit plu­sieurs fois que l’ar­mée israé­lienne a iso­lé Gaza et le nord en cou­pant la route à Net­za­rim Junc­tion, la jonc­tion entre le nord et le centre de la bande de Gaza.

Elle ne me croit pas, elle dit que cette route se trouve à Jaba­lia et qu’elle n’a rien à voir avec Gaza. Quoi que je dise, cela la met encore plus en colère et elle ne me croit pas. Elle ne sait pas qu’il est peut-être plus facile d’at­teindre la lune main­te­nant que d’at­teindre Gaza sans être abat­tu par un sni­per ou tué par un obus.

J’ai renon­cé à la convaincre et je me suis assis sur mon mate­las en face de son lit pour l’é­cou­ter se plaindre.

« Tu n’es plus le même fils. Depuis que nous sommes arri­vés ici, tu m’as empê­ché de voir mes filles, mes fils et mes petits-enfants. Ils pas­saient tous les jours chez moi, main­te­nant je ne vois plus per­sonne, je n’ai plus per­sonne au télé­phone. Tu m’as pri­vé de tout ! Tu ne m’ap­portes plus de café, ni de sucre­ries, de bon­bons ni même de fruits. Tu avais l’ha­bi­tude de m’ap­por­ter des bananes, des dattes, des pommes, des fraises, beau­coup de fruits, main­te­nant tu ne m’ap­portes plus rien. Tu dis que les Israé­liens les empêchent d’ar­ri­ver à Gaza. Mais com­ment tu veux que je te croie ? (…) Ce n’est pas pos­sible, tu n’es plus le fils que tu étais. »

Com­ment puis-je en vou­loir à ma mère ? Je ne peux pas. Je com­prends que ce n’est pas facile à croire. Com­ment une per­sonne saine d’es­prit pour­rait-elle croire que nous ne pou­vons pas atteindre notre mai­son qui n’est qu’à 9 km d’i­ci, com­ment ? Que nous ne puis­sions pas trou­ver de café au mar­ché ? Qu’il n’y ait pas de bon­bons, de sucre­ries ou de fruits au marché ?

Je n’en veux pas à ma mère, c’est à moi que j’en veux.

Je m’en veux de ne pas pou­voir voler et tra­ver­ser toutes les fron­tières pour arri­ver à un endroit où l’on peut trou­ver des fruits, des cho­co­lats, des bon­bons, du café et tout ce que ma mère sou­haite. Je m’en veux de ne pas pou­voir atteindre Khan You­nès ou Deir al Bah­la ou Rafah et d’y ame­ner mes frères et sœurs pour que ma mère puisse les voir. Je m’en veux de ne pas avoir de bâton magique pour répa­rer le réseau de com­mu­ni­ca­tion d’un coup de baguette magique.

Déso­lé maman, s’il te plaît, par­donne-moi d’a­voir été un si mau­vais fils.

18 février 2024

« Regar­dez-vous pour 1 she­kel ! ». Sur le mar­ché, un enfant tient un mor­ceau de miroir de 15 cm2, appe­lant les gens à se regar­der le visage ou à voir leur corps pour 1 shekel.

Non, il n’y a pas de miroirs à ache­ter sur le mar­ché. Avec un mil­lion de per­sonnes dans des tentes, sans rien, sans moyens de sub­sis­tance, un miroir n’est abso­lu­ment pas une chose que l’on pen­se­rait à cher­cher ou à avoir quand on n’a pas de nour­ri­ture, d’eau, d’élec­tri­ci­té, de lait ou de couches pour les enfants, de machine à laver ou de réfri­gé­ra­teur, de mate­las ou de cou­ver­ture, de porte pour l’in­ti­mi­té ou de toi­lettes, de four pour cui­si­ner ou de plat pour poser la nour­ri­ture. Un miroir est quelque chose que vous oubliez, votre appa­rence devant les autres n’est pas quelque chose d’important.

Le gar­çon essaie de gagner sa vie en offrant un ser­vice très rare, je n’ai pas vu mon visage depuis que je suis arri­vé à Rafah, pas de miroir. J’ai deman­dé au gar­çon : « Tu gagnes vrai­ment de l’argent avec ce service ? »

_ « Oui, beau­coup de gens le veulent, je gagne au moins 30 she­kels par jour (7,50$).

_ C’est bien pour toi.

_ Vous voyez cet homme ? (Il désigne un homme à 20 mètres de nous, qui marche dans l’autre sens.)

_ Qu’est-ce qu’il a ?

_ Il a regar­dé son visage dans le miroir et me l’a ren­du, mais il ne m’a rien payé, il m’a juste ren­du le miroir et s’est éloi­gné. Je ne l’ai pas arrê­té. Pen­dant qu’il se regar­dait dans le miroir, je lui ai deman­dé : « Qu’est-ce que c’est ? » Il avait une cou­pure sur le visage, de l’a­vant de la tête jus­qu’à la poi­trine, une longue cou­pure, une cou­pure affreuse. Je pense qu’il s’a­gis­sait d’une bles­sure ou d’un éclat d’o­bus, qui n’a pas encore bien cica­tri­sé. Il a regar­dé sa cica­trice et m’a ren­du le miroir. J’ai vu des larmes dans ses yeux, alors je l’ai lais­sé par­tir, je n’ai pas deman­dé le shekel. »

Je n’ai pas fait de com­men­taire. J’ai pris le miroir, j’ai regar­dé mon visage, il est deve­nu très maigre. Je me rase sans miroir, alors cer­tains poils de mon visage sont plus longs que les autres, et mon visage res­semble à une cica­trice. Je n’ai pas pleu­ré, j’ai don­né 2 she­kels à l’en­fant et j’ai conti­nué à marcher.

6 mars 2024

Depuis le début de la guerre, je n’é­cris que ce que je vois, ce que je res­sens, ce dont je suis témoin, en évi­tant d’é­crire ce que j’en­tends. Mais il y a des mil­liers de petites his­toires qui ne peuvent être ignorées.

Un col­lègue de Khan You­nès m’a racon­té ceci : « J’ai quit­té ma mai­son au début de l’in­va­sion de Khan You­nès et je suis venu à Rafah avec ma famille. Nous avons pas­sé deux jours dans la rue avant de trou­ver une tente. Hier, nous sommes retour­nés à Khan You­nès, il n’y a plus de mai­son. Ma mai­son, ma rue, tous les bâti­ments de ma rue ont été détruits. En fait per­sonne ne peut recon­naitre la rue et l’emplacement des maisons. »

Un ami d’A­ba­san, à l’est du vil­lage de Khan You­nès : « Dès que nous avons appris que l’ar­mée israé­lienne avait quit­té le vil­lage, nous y sommes retour­nés. Ma mai­son n’é­tait plus là. Les gens étaient dans les rues en train de ramas­ser des corps. Oui, des corps de per­sonnes qui étaient mortes depuis des jours, voire des semaines. Ils étaient lais­sés là ; beau­coup avaient été en par­tie dévo­rés par les chiens et les chats de la rue. Une femme a recon­nu son mari à sa che­mise, il n’y avait plus de visage, plus de peau. »

Un homme de Gaza nous a racon­té : « Il y avait des gens entre Gaza et le camp de Nusei­rat, dans la zone cen­trale de la route mari­time, qui atten­daient les gens qui par­taient de Gaza et du nord pour aller vers le sud. Ils atten­daient avec de l’eau, du pain et de la nour­ri­ture à don­ner. Une femme est arri­vée, très maigre, très épui­sée. Ils l’ont accueillie et lui ont don­né de la nour­ri­ture. Elle a attra­pé un mor­ceau de pain et l’a man­gé en pleu­rant, en répé­tant : « Du pain, du pain, 3 semaines sans pain ! Per­sonne ne sait ce que signi­fie se nour­rir d’herbe et de nour­ri­ture ani­male, sauf ceux qui doivent le faire ! Du pain, du pain ! ». Et elle conti­nuait à pleurer.

À l’hô­pi­tal d’Al­na­j­jar, un homme de 65 ans a été arrê­té pen­dant trois semaines par l’ar­mée israé­lienne. Per­sonne n’a pu déter­mi­ner à quel type de tor­ture il avait été expo­sé. L’homme ne par­lait pas, il avait des cica­trices aux poi­gnets, aux pieds, au nez, et ses yeux étaient grands ouverts, regar­dant par­tout comme s’il cher­chait quel­qu’un ou regar­dait quel­qu’un avec effroi.

Selon l’U­NI­CEF, 17 000 enfants sont deve­nus orphe­lins à Gaza depuis le 7 octobre 2023.

Un homme a décla­ré : « Mon père a refu­sé de quit­ter sa mai­son à Khan You­nès. Lorsque nous sommes ren­trés chez nous trois semaines plus tard, nous avons trou­vé notre père abat­tu d’une balle dans la tête, mort depuis plus d’une semaine. Son corps sen­tait mauvais. »

Un gar­çon a décla­ré : « Lorsque nous avons quit­té Khu­za (un vil­lage de Khan You­nès), je n’ai pas trou­vé ma chatte, elle se cachait quelque part, et nous avons dû par­tir. Nous y sommes retour­nés hier, trois semaines plus tard, et j’ai trou­vé mon chat mort dans la cuisine »

Ai appe­lé mon frère à Gaza :

_ Com­ment vas-tu ?

_ Très mal.

_ Déso­lé pour la ques­tion stu­pide. Com­ment allez-vous ?

_ Je meurs avec mes enfants, en silence.

_ Êtes-vous allé là où la nour­ri­ture a été lar­guée, peut-être avez-vous pu obte­nir quelque chose ?

_ Je pré­fère voir mes enfants vivre un jour de plus, même affa­més, que de les voir abat­tus ou poi­gnar­dés pour de la nour­ri­ture que nous pour­rions peut-être ou peut-être pas obtenir. »

23 mars 2024

« J’ai visi­té plus de 25 phar­ma­cies et 5 hôpi­taux à la recherche de médi­ca­ments pour mon père. Je ne les ai pas trou­vés. Son état se dété­riore et je suis très inquiet pour sa vie, s’il vous plait, aidez-moi ! »

« Depuis que ma femme est morte dans le bom­bar­de­ment du mar­ché de Nusei­rat, je ne sais pas com­ment m’oc­cu­per de mes petits jumeaux, qui ont 1 an ½. Je suis dans une tente, seul avec eux. Je dois sor­tir pour cher­cher de la nour­ri­ture et tra­vailler. Je vends des pro­duits ali­men­taires recy­clés au mar­ché, ce qui me per­met de gagner entre 20 et 25 she­kels par jour. Mes voi­sins de la tente voi­sine rendent visite à mes enfants, essayant de s’oc­cu­per d’eux, mais ils ont aus­si leurs propres pro­blèmes et les com­pli­ca­tions de la vie. Je ne sais pas quoi faire, s’il vous plait, aidez-moi ! »

« Je laisse mes enfants dans la tente à 7 heures du matin jus­qu’au cou­cher du soleil pour aller men­dier dans les rues. Mon mari, mon père, mes frères, les parents de mon mari et ses frères et sœurs, 22 per­sonnes en tout, ont été tués. J’é­tais au mar­ché quand ils ont bom­bar­dé notre mai­son. Je ne sais pas com­ment mes enfants passent leur temps en mon absence, ils m’at­tendent pour man­ger. Je ne peux leur four­nir qu’un seul repas par jour, je n’ai pas reçu de colis ali­men­taire. Savez-vous com­ment vous ins­crire pour béné­fi­cier d’une aide ali­men­taire ? Aidez-moi, s’il vous plait ! »

« Mère, pour­quoi mon lit est-il sou­dai­ne­ment mouillé ? J’ai 16 ans, je n’ai jamais fait ça ! Je ne veux pas me réveiller avec de l’u­rine dans mes vête­ments ! S’il vous plait, aidez-moi ! »

« Mes seins sont secs, je ne peux pas nour­rir mon bébé de 3 mois, je n’ai pas les moyens d’a­che­ter du lait en poudre. Aidez-moi s’il vous plait ! »

« Je m’ap­pelle Ali et j’ai 9 ans. Toute ma famille a été tuée, je n’ai plus de mère, plus de père, plus de frères, plus de sœurs, plus de grands-parents. J’ai peur, s’il vous plait aidez-moi ! »

« Je m’ap­pelle Jami­la, j’ai 12 ans, je n’ar­rive pas à dor­mir la nuit. Je fais des cau­che­mars, j’ai peur des bom­bar­de­ments ! Je ne sais pas quoi faire, s’il vous plait aidez-moi »

Un homme s’est éva­noui dans la rue. Les gens l’ont aidé à se réveiller, il a ouvert les yeux, regar­dant autour de lui comme une per­sonne per­due. Il dit d’une voix très faible : « J’ai faim, je n’ai rien man­gé depuis trois jours, ni mes enfants ! Aidez-moi, s’il vous plait ! »

Un homme assis à côté d’une mos­quée avec sa femme et ses trois enfants, deux filles et un gar­çon. L’ai­né a 13 ans, le plus jeune a 3 ans. Il dit : « Je n’ai pas d’en­droit où res­ter, pas de mai­son, pas de tente, je suis dans la rue avec ma famille depuis 4 jours. S’il vous plait, aidez-moi ! »

« Mon fils a été bles­sé et a per­du ses jambes il y a trois mois. Il n’a que 16 ans. Je n’ar­rive pas à trou­ver de fau­teuil rou­lant pour lui, et je ne peux pas le por­ter seul aux toi­lettes ! Aidez-moi s’il vous plait ! »

« J’é­tais au mar­ché avec ma femme pour ache­ter des bon­bons fabri­qués loca­le­ment, seule­ment 250 g. C’est très cher. Ma femme m’a deman­dé d’en ache­ter un autre de 250 g. Je l’ai fait et elle l’a pris. Il y avait un petit gar­çon qui avait l’air très pauvre. Elle lui a don­né les bon­bons et lui a deman­dé de les par­ta­ger avec ses frères et sœurs. Le gar­çon a sou­ri et s’est éloi­gné rapi­de­ment. J’aime ma femme. »

Le 10 juin 2024

Ouvrez les yeux, ouvrez votre cœur et remet­tez en ques­tion votre huma­ni­té ; oui, nous avons tous besoin de temps en temps de remettre en ques­tion nos prin­cipes humanitaires.

Les 120 Israé­liens enle­vés, cap­tu­rés et empri­son­nés par le Hamas doivent ren­trer chez eux, retrou­ver leurs familles, oui, ils le doivent ! Je veux vrai­ment les voir par­mi leurs familles et leurs proches, tout comme je veux qu’il en soit de même pour les plus de 13 000 Pales­ti­niens enle­vés, cap­tu­rés et empri­son­nés par les Israé­liens. Je veux voir ces mil­liers de per­sonnes chez elles, avec leurs familles, avec leurs proches.

Avant le 7 octobre, Israël avait enle­vé et empri­son­né plus de 4 000 Pales­ti­niens. Depuis le 7 octobre, Israël a enle­vé plus de 9000 Pales­ti­niens. Des mil­liers d’entre eux sont expo­sés à de graves tor­tures ; beau­coup en sont morts. Pour­tant, per­sonne n’in­ter­roge Israël à leur sujet, car ils ne sont pas consi­dé­rés comme des êtres humains ! Ouvrez les yeux, ouvrez votre cœur.

À Gaza, les chiens des rues meurent de faim. Avant, ils vivaient des restes des gens ; main­te­nant, les gens n’ont plus de restes, ils meurent de faim. Cer­tains chiens sur­vivent grâce aux cadavres de Pales­ti­niens lais­sés dans les rues, tués par les Israé­liens et lais­sés dans les rues pen­dant des jours et des semaines. Ils servent de repas aux chiens. Ce n’est pas une fic­tion, cela se passe à Gaza ! Ouvrez les yeux, ouvrez votre cœur.

Un homme ampu­té d’une jambe avance en titu­bant, s’ap­puyant sur l’é­paule de sa fille, et lui dit : « Je t’é­puise, ma chérie ».

Une mère porte les cadavres de ses deux enfants en pleu­rant : « Pour­quoi m’as-tu aban­don­née ? Je ne peux pas vous enter­rer, je ne peux pas, c’est vous qui devriez m’en­ter­rer quand vous serez grands ! »

Ouvrez les yeux, ouvrez votre cœur.

Un jeune homme por­tant une veste par temps chaud, essayant de cacher son bras amputé.

Un homme de Gaza a envoyé un mes­sage à ceux qui ne sont pas à Gaza, un mes­sage d’envie :

_ « Je vous envie de ne pas être obli­gés de perdre du poids !

_ Je vous envie de ne pas dor­mir et de ne pas vous réveiller avec des drones, des bom­bar­de­ments et des bruits d’o­bus 24 heures sur 24 pen­dant 8 mois et plus !

_ Je vous envie de ne pas entendre les cris de détresse des gens sous les décombres, qui meurent et que vous ne pou­vez pas aider !

_ Je vous envie que vos enfants ne vivent pas jour et nuit dans la peur et la panique !

_ Je vous envie de pou­voir offrir un mor­ceau de cho­co­lat à vos enfants lors­qu’ils le demandent !

_ Je vous envie d’a­voir des machines à laver et de ne pas être obli­gés de net­toyer vos vête­ments avec une quan­ti­té de 1 ou maxi­mum 2 litres d’eau !

_ Je vous envie de ne pas être obli­gés de man­ger des conserves et de l’eau insa­lubre pen­dant des mois et des mois jus­qu’à l’émaciation !

_ Je vous envie de ne pas devoir faire un feu tous les jours pen­dant 9 mois avec des bouts de bois, du papier, du plas­tique et tout ce que vous pou­vez trou­ver d’in­flam­mable pour chauf­fer un peu de nour­ri­ture pour votre famille, en vous brû­lant les mains et la poi­trine et en res­pi­rant de la fumée toxique !

_ Je vous envie de ne pas avoir le sen­ti­ment d’être un far­deau pour les autres lorsque des parents ou des amis vous accueillent dans leur mai­son ou leur tente !

_ Je vous envie de ne pas vous sou­cier de l’in­ti­mi­té de votre femme et de votre fille dans une tente non pro­té­gée ou dans des latrines publiques !

Ouvrez les yeux, ouvrez votre cœur et remet­tez en ques­tion votre huma­ni­té ! Il n’y a pas de honte, nous avons tous besoin de remettre en ques­tion nos prin­cipes huma­ni­taires de temps en temps.

Il suf­fit d’ouvrir…

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