Masculinisme

Le grand braquage des luttes féministes (et des droits des femmes)

Illustration : Vanya Michel

Vous l’avez pro­ba­ble­ment déjà enten­du : la mas­cu­li­ni­té moderne serait en crise ! Certes, dif­fé­rents mou­ve­ments fémi­nistes militent et tra­vaillent avec achar­ne­ment à réduire les inéga­li­tés entre les hommes et les femmes, avec l’horizon de les voir dis­pa­raître un jour. Mais, au milieu de ces com­bats pour l’égalité des droits, diverses ten­dances mas­cu­li­nistes nous vantent un retour à « l’ordre natu­rel des choses ». Pen­chons-nous sur cette constel­la­tion, loin d’être uni­forme, dont les idées rétro­grades nous pro­posent une socié­té radi­ca­le­ment inégalitaire.

Qu’ont en com­mun le patron de Meta Mark Zucker­berg, le mili­tant en ligne trum­piste Nick Fuentes, l’influenceur d’extrême droite Papa­ci­to ou encore l’autoproclamé coach en séduc­tion Alex Hit­chens ? Ils déploient tous une vision du monde mas­cu­li­niste, c’est-à-dire un pro­jet de socié­té dans lequel les hommes devraient recon­qué­rir leurs droits, per­dus à cause des femmes, et plus spé­ci­fi­que­ment à cause des fémi­nistes1. Et ils prônent un retour à une orga­ni­sa­tion sociale tra­di­tion­nelle, dans laquelle l’homme retrou­ve­rait sa place d’homme fort et domi­nant. Si le mas­cu­li­nisme est réac­tion­naire, miso­gyne et anti­fé­mi­niste, il est aus­si essen­tia­liste : nos com­por­te­ments en socié­té décou­le­raient de notre sexe bio­lo­gique et les rôles sociaux des hommes et des femmes seraient dif­fé­rents, tout en étant com­plé­men­taires2.

C’est dans ce sens que Mark Zucker­berg défend la « re-mas­cu­li­ni­sa­tion » des entre­prises 3 ; que Nick Fuentes s’autorise, le sou­rire aux lèvres, un « Your body, my choice » (Ton corps, mon choix), détour­nant ain­si le slo­gan fémi­niste « Mon corps, mon choix » ; qu’Alex Hit­chens, de son côté, pro­pose des for­ma­tions telles que « Deve­nir cha­ris­ma­tique et enfin séduire la femme de tes rêves » ou « L’art de débattre : le secret pour domi­ner chaque sujet avec une méthode simple »4 ; et que Papa­ci­to dif­fuse dans ses pod­casts des idées homo­phobes, miso­gynes et racistes. Si le mas­cu­li­nisme a tou­jours eu une place sur inter­net (et par­ti­cu­liè­re­ment sur des forums et com­mu­nau­tés vir­tuelles à domi­nante mas­cu­line), on en observe une nette recru­des­cence post #MeToo et par­ti­cu­liè­re­ment avec la mon­tée du fas­cisme dans le monde entier – les États-Unis en tête de file.

La haine des femmes s’adapte et se trans­forme en fonc­tion des enjeux du moment, main dans la main avec le capi­ta­lisme : on peut le voir notam­ment avec des per­sonnes telles qu’Elon Musk et Mark Zucker­berg qui reviennent au mas­cu­li­nisme assu­mé après un détour par un pseu­do-libé­ra­lisme cultu­rel et une pré­ten­due ouver­ture à la diver­si­té5.

Du masculin sacré à l’appel au meurtre…

Dans la sphère mas­cu­li­niste, en marge de visions tra­di­tio­na­listes de la mas­cu­li­ni­té, issues des grandes reli­gions mono­théistes, on retrouve des spi­ri­tua­li­tés new age appe­lant au mas­cu­lin sacré. Ces der­nières pro­posent des retraites entre hommes, au milieu de la nature, des veillées au coin du feu, entre prières et confé­rences, pour retrou­ver ce qui ferait l’essence de la mas­cu­li­ni­té en oppo­si­tion à la fémi­ni­té6. Il n’y a a prio­ri là aucun appel à la vio­lence envers les femmes, mais on y dis­tingue un ordre natu­rel dans l’organisation des rôles et des fonc­tions au sein de la socié­té, dans laquelle hommes et femmes seraient complémentaires.

Hors des réfé­rents reli­gieux, le Mou­ve­ment pour les droits des hommes, né dans les années 70, reven­dique plus de droits sociaux pour les hommes, notam­ment en lien avec la pater­ni­té. Ils seraient, par exemple, dis­cri­mi­nés quand ils passent devant le juge pour la garde des enfants. Ce mou­ve­ment s’est don­né une nou­velle vie à la faveur d’internet et des réseaux sociaux, trou­vant là un espace pour se redé­ployer… tout comme un cer­tain nombre d’autres cou­rants masculinistes.

C’est dans les années 2000, sur les forums en ligne, que se dif­fuse l’idée selon laquelle il serait néces­saire que les hommes prennent conscience de ce que les femmes et les fémi­nistes leur imposent. Pour y par­ve­nir, ces der­niers devraient prendre la red pill (pilule rouge), qui, fai­sant réfé­rence au film Matrix, per­met­trait de « décou­vrir la véri­té cachée du monde, sym­bo­li­sant un réveil bru­tal face à une réa­li­té qu’on pré­fé­re­rait igno­rer ». Bien sûr, cette pilule rouge serait le pri­vi­lège de quelques ini­tiés capables de résis­ter au lavage de cer­veau que sont les dis­cours sur l’égalité des sexes, alors la majo­ri­té pré­fé­re­ra la blue pill (la pilule bleue), choi­sis­sant de vivre dans le déni…

Dans la pano­plie en ligne, on trouve les coachs en séduc­tion ou encore les looks­maxxers (maxi­mi­sa­tion de l’apparence) qui, eux, affirment que cer­taines normes esthé­tiques per­mettent de hié­rar­chi­ser les hommes entre eux. Sur les réseaux sociaux, cela les pousse, par exemple, à inci­ter les jeunes à se frap­per les pom­mettes avec un mar­teau afin d’entrer dans les stan­dards de la viri­li­té mas­cu­line. Cette vio­lence (prin­ci­pa­le­ment tour­né vers soi-même dans ce cas) ne concerne pas uni­que­ment les hommes : dans le cas du look­maxxing, il s’agit de maxi­mi­ser son appa­rence dans ce qui s’apparente plu­tôt à des conseils de beau­té 2.0 (d’ailleurs sou­vent bidon) qui avancent main dans la main avec des injonc­tions capi­ta­listes à la per­for­mance, à l’employabilité (on entre­tient alors l’idée que des gens « beaux » auraient plus de suc­cès dans leurs vies per­son­nelles et pro­fes­sion­nelles) et à la productivité.

La vio­lence prend une autre dimen­sion quand on entre dans la sphère des incels (contrac­tion de invo­lun­ta­ry celi­bates, céli­ba­taires invo­lon­taires) pour qui les femmes seraient évi­dem­ment res­pon­sables de leur céli­bat puisqu’elles les rejettent. La frus­tra­tion à leur égard décou­le­rait de leur inca­pa­ci­té à avoir des rela­tions sexuelles et affec­tives, mal­gré leur désir. Cette frus­tra­tion conduit ces mas­cu­li­nistes vers des forums pri­vés dans les­quels tous les appels au viol, au meurtre, tous les pro­pos racistes, anti­sé­mites… sont les bien­ve­nus. C’est au nom de cette ran­cœur des femmes qu’Eliott Rod­ger a, en 2014, tué ses colo­ca­taires et ensuite des femmes dans la rue. Dans une vidéo qu’il a tour­née peu de temps avant, il déclare que les femmes n’ont jamais vou­lu de lui et que le jour de la ven­geance est arri­vé7. Et si les incels res­tent un phé­no­mène plu­tôt res­treint aujourd’hui, cer­tains pro­pos qui émanent du grou­pus­cule se pro­pagent sur inter­net et dans la socié­té. C’est notam­ment le cas de l’idée que l’on connaî­trait une « épi­dé­mie de soli­tude mas­cu­line » pro­vo­quée par la mon­tée du féminisme.

Pourquoi en parler aujourd’hui ?

S’il nous paraît impor­tant d’en par­ler aujourd’hui, c’est parce que le déploie­ment du mas­cu­li­nisme sur inter­net et les réseaux sociaux est une réa­li­té qui touche tout le monde, mais avant tout les plus jeunes. Or, la modé­ra­tion sur les réseaux sociaux perd du ter­rain et les consé­quences sont expo­nen­tielles. Dans l’enquête « Sur Tik­Tok, le mas­cu­li­nisme à por­tée de scroll : jus­qu’où l’al­go­rithme peut-il emme­ner les ados ? », les jour­na­listes de la RTBF nous montrent à quelle vitesse les gar­çons ado­les­cents se retrouvent confron­tés à des conte­nus mas­cu­li­nistes : une pro­pa­gande bien rodée, à laquelle les jeunes sont très rapi­de­ment exposés.

Tan­dis que cer­tains pro­prié­taires de réseaux sociaux tiennent des pro­pos mas­cu­li­nistes, l’autorégulation semble par­fai­te­ment inopé­rante. C’est vers une légis­la­tion euro­péenne visant au res­pect des droits fon­da­men­taux dans la sphère numé­rique qu’il nous semble plus per­ti­nent de se tourner.

La légis­la­tion n’est cepen­dant pas une réponse abso­lue, car comme le sou­ligne, en France, le rap­port annuel sur l’égalité femmes-hommes du Haut Conseil à l’Égalité : non seule­ment le sexisme per­siste, mais sur­tout, les posi­tions se pola­risent entre les (jeunes) femmes de plus en plus fémi­nistes et les (jeunes) hommes de plus en plus mas­cu­li­nistes… Il s’agit donc, comme sou­vent, d’éducation, tant à l’usage d’internet qu’à la décons­truc­tion des sté­réo­types de genre, ain­si que du com­bat, encore et tou­jours néces­saire pour l’égalité entre les hommes et les femmes.

Enfin, à la fois par l’essentialisation des rôles des hommes et des femmes et dans la quête d’un bouc émis­saire, le mas­cu­li­nisme ouvre la porte à l’extrême droite en dérou­lant le tapis rouge à la haine des femmes et des mino­ri­tés. Ce que Pierre Plot­tu et Maxime Macé ont étayé dans leur livre, Pop­fas­cisme8.

C’est donc au maillage d’une grande toile qu’il nous faut faire face dans cette bataille cultu­relle…. Et ce au moment même où nos gou­ver­ne­ments coupent dans les bud­gets à la fois de l’éducation et de la culture !

  1. Voir à ce sujet, les tra­vaux de Fran­cis Dupui-Déri, dont par exemple, « Le ‘’mas­cu­li­nisme‘’ : une his­toire poli­tique du mot », Recherches fémi­nistes, 22(2), pp 97 – 123, 2009.
  2. Ana­ly­sé par la magis­trate Maga­li Lafour­cade, secré­taire géné­rale de la Com­mis­sion Natio­nale Consul­ta­tive des Droits de l’Homme, décla­ra­tion dans le pod­cast d’Astrid de Vil­laines « La guerre des sexes est-elle à nou­veau décla­rée ? », Série L’esprit public, France Culture, 26/01/2025.
  3. Cécile De Sèze, « Face­book : Fact-che­cking, mas­cu­li­nisme, conser­va­tisme… Pour­quoi Mark Zucker­berg fait-il volte-face ? », 20minutes, 14/01/2025.
  4. Auré­lien Defer, « Com­ment l’influenceur mas­cu­li­niste Alex Hit­chens tire par­ti de son audi­tion à l’Assemblée natio­nale », Le Monde, 18/06/2025.
  5. Ibid.
  6. Anto­nin Blanc a réa­li­sé en 2023, un repor­tage sur les groupes mas­cu­li­nistes, avec notam­ment, tour­né en camé­ra cachée, un pas­sage dans une retraite reli­gieuse : Anto­nin Blanc, « Qui sont les mas­cu­li­nistes en France ? », Kom­bi­ni, 2023
  7. S’il n’est pas com­mis par un incel, le pre­mier meurtre de masse de femmes au nom de l’antiféminisme est celui de l’école poly­tech­nique de Mont­réal en 1989.
  8. Pierre Plot­tu & Maxime Macé, Pop­fa­cisme. Com­ment l’extrême droite a gagné la bataille cultu­relle sur inter­net, Diver­gences, 2024.

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