AFRODESCENDANCE
Par Marie Darah
De l’Afrique, je ne savais que le noir
Celui de mes cheveux, celui de mon regard
Traces foncées sous les ongles
Mes lourdes* seins qui tombent
Peau douce matifiée, l’arrête de mon nez
Qui plisse quand je gronde
Comme Simba le lion, comme Saba je suis tronc
Le rythme dans le sang, c’est un cliché vivant
Il est vrai que pourtant cela bat et tam-tam à l’intérieur de moi
Mon épiderme se mielle quand elle* voit le soleil
Il y a là une mémoire que je ne connais pas
Mon afro-ressemblance, c’est vous qui la voyez
Vous me faites venir d’où vous me fantasmez
D’aussi tôt vôtre champ lexi-tasmagorique,
M’objectise le sang, je deviens exotique
Plantureuse tigresse. Occidente métisse
Vous me requalifiez en pute ensoleillée
Mes seins se font mamelles, ma bouche à en-piper
Vos paroles sont fiel sur ma féminité
Vos mots sticky, vos phrases colonialistes
Vous ne voulez pas vraiment savoir d’où j’existe
Mes fameuses « Origines » que vous voulez savoir
Lorgnant sur ma poitrine, serait-elle blanche ou noire
C’est pour me raconter comment vous aimez ça
D’avoir été un jour ou d’être né là-bas
Avec grande fierté, je réponds : Charleroi !
Mais vous vous énervez, agacés, ça ne vous plaît pas
Faut encore qu’elle réponde cette femme, cette
— Ha ! Je l’ai lu dans ta tête.
Cette « Négresse » aux beaux yeux, au sourire lumineux
A des dents, sous son timbre suave et son port majestueux.
— Eh bien oui mec, mister, monsieur !
T’avais tant à regarder, à sentir, à entendre
Que t’as même oublié de me voir omniscientE
Lorsque tu mates ma peau mate
J’observe, je scrute ta sémantique
Quand tu t’égares sur mes tatouages
Je sonde tapie dans l’ombre
Je guette ma proie, machiavélique
Tu as l’eau à la bouche et j’ai la rage aux dents
Je suis prête à mordre, tu me diras, c’est dans mon sang
Pour toi tout ce que je porte vient forcément d’ailleurs
Tu ne me considères que d’après ma couleur
Mais le sauvage des îles ne sait que les terrils
Le charbon, le ciel jaune brûlé par les usines
La plus belle ville du monde pour le pédocrime
Et sa démographie raciste alcoolophile
J’ai tant de cauchemars à oublier là-bas
Mais pour toi, je suis coq Wallon, pays de Charleroi
Je prendrai bien l’accent et ça risque d’arriver
Si doucement tu continues à me déraciner
Si je ne m’adresse qu’aux hommes
C’est que rarement les femmes m’imposent de les faire rêver
Oh ! Il y en a eu des vieilles bourgeoises coloniales
Admirant la serveuse, leur rappelant leur vestale
Leur souvenir du soleil et de mains maternelles
Mais chez vous toutes mesdames
Sous votre maladresse ou votre blanche oseille
Vous savez qu’être femme, c’est être minorisé
Et quand je vous regarde droit dans votre occidentalité
Vos privilèges s’effraient, et le plus souvent vous vous taisez
Entre bêtes de somme, on sait l’humilité
C’est donc au sexe ou à l’éducation de l’homme
Que j’accorde ce manque de subtilité
Quand sous votre questionnement, qui se veut bienveillant
Patiemment, je comprends votre supériorité
Qu’importe votre couleur, messieurs
Vous voulez tous savoir sur qui
Dans votre femme, vous vous branlerez ce soir
La métisse aux seins nus, la princesse dévêtue
Ou la reine déchue que vous ensemencerez
Mettant du sang royal dans vos pâles lignées
Vous rêvez de bâtards, mannequins de magazines
C’est à croire, messieurs, que vous êtes aussi
De la mode, les victimes
Et c’est donc pour ça que vous vous arrêtez
Pour me parler non pas de ma sagacité
Mais de votre fétichisme sur ma féminité
Voilà ce que je sais de l’Afro-descendance
C’est qu’elle vous offre à jamais
Un statut de : Femme Non-Blanche
Double peine au pays de la minorité
Triple ou quadruple, si comme moi de surcroît
Vous êtes une personne trans de genre fluide et gay
*Ce n’est pas moi, c’est Molière qui a commencé à féminiser des mots masculin.
*Et comme lui pour épiderme, je féminise mes ex seins get over it !
ÇA PUE
Par Lisette Lombé
Parfois, à la fin de certaines journées, une forme de lassitude, terrible, nous submerge.
Parfois, c’est dès le matin que la bête nous attaque.
C’est comme une énorme vague qui s’abat sur nos tronches, une énorme vague chargée de toutes les crasses du vieux monde,
une déferlante,
une déferlante charriant toute la pourriture raciste des journaux et des réseaux sociaux,
une déferlante, marée coupante, nausée plombante,
une agression plus une agression plus une agression plus une agression plus une agression…
Ces jours-là, on se dit que nos réunions et nos mobilisations ne servent à rien,
on se dit que personne ne peut terrasser le désert,
on se dit que personne ne peut venir à bout des dragons à crêtes blanches.
On sait pourtant.
On sait que ce n’est pas pour nous les fruits de la lutte,
on sait que ce n’est pas pour demain,
on le sait et on lutte et on lutte.
On le sait mais ces jours-là, jour de brèche, jour de gerbe, jour de giclée apocalyptique,
on se dit que, peut-être, même nos enfants n’en verront pas la fin
de cet interminable tunnel.
Ces jours-là, il y a danger pour notre courage et pour notre détermination.
Il y a danger pour nos voix, danger, danger, danger d’extinction de voix.
Ces jours-là, y a pas à dire, ça craint vraiment !
Ça pue la régression à dix mille kilomètres à la ronde, ça pue les types qui jouent des coudes et de la crotte, ça pue le rance, prisonnier dans les replis, ça pue,
ça pue l’à rebours féroce, ça pue les nanas comme nous, les nanas qu’on sort comme des tapisseries du dimanche pour colorer les assemblées, colorer les livres, colorer les rangs et se dédouaner de tout le reste et de tous les autres, ça pue la menace de tout, menace, menace de remplacement, de fin, fin de race, fin de vie, fin du temps béni des colonies, fin de fermer sa gueule, ça pue, ça pue jusque sous le sel de la mer,
ça pue le dératiseur pour hommes, toi Homme noir, toi
Homme rom, toi Homme arabe,
ça pue, caves humides, cerveaux vides, multiplication des frontières et des décrets et des arrêtés royaux, ça pue les troupeaux morts, ça pue les fronts bas, ça pue les sauterelles, ça pue les ténèbres, les pantoufles, monnaies de singes et comptes d’apothicaires, ça pue !
Alors on relit nos anciens textes, on relit nos anciens poèmes, on relit, on relit, on les relit,
pour ne pas se décomposer, pour ne pas capituler, pour tenir, tenir debout, tenir fierté, tenir justice, tenir.
On relit nos anciens textes, on relit nos anciens poèmes, nos premiers, nos naïfs, nos sans artifices, textes des débuts, textes des aurores car eux seuls peuvent nous crier que nous ne sommes pas zinzin, pas ouin ouin, que nous ne sommes pas paranos, pas hystériques, que nous ne sommes pas folles.
Tenir
MOI, TIGRITUDE DU KONGO
Par Samy Manga
Le 17 janvier 1961, je vous aurais traîné pieds nus à Katako-Kombe village chez Lumumba, je vous aurais fait mordre à vive bouche l’héritage sadique du système léopoldien, je vous aurais rappelé que nos mémoires d’ici sont encore trop vives, trop blessées pour penser pacifier quoi que ce soit avec une Europe absurde depuis la Genèse.
Moi, administrateur du premier sang, afin que nos morts ne soient pas vains devant la mémoire collective des Hommes, je vous aurais propulsé dans la zombification houleuse des plantations. Contre vous, j’aurais réveillé les tonnerres équatoriaux, les fétiches de guerre et les sortilèges étincelants pour l’éclatante bataille, ontologiquement j’aurais refusé de serrer votre main sale de drames incessants, loin de nos terres, j’aurais expulsé votre médiatique pitié vers votre indécent pénis, j’aurais donné un coup de pied corpulent à vos souhaits blafards de couleur belge et j’aurais délibérément saboté le système électrique de vos véhicules espions en direction de Lubumbashi. Je me serais lentement approché de vous en corps et encore, plus près que vous ne le croyez, je vous aurais regardé droit dans les yeux, bien droit dans les yeux, et vous aurais saisi pile poil à la gorge. En vain vous vous seriez débattu jusqu’au dernier soupir, sans arrêt j’aurais continué de vous aspirer quatre kilos de moelle épinière par le canal du grand colon plaqué contre la fureur d’un Chaka Zoulou intraitable. J’aurais dévissé l’assemblée générale de vos molaires avant que ne meure la dernière minute de votre lignage moisi, et je vous aurais tranché la tête d’un seul coup froid indomptable.
Chevilles fauchées, cheveux essoufflés, nez maladroitement décapité aux semelles des pachydermes que vous avez longtemps guillotinés chez nous, la moitié de votre visage poussière serait aujourd’hui exposé au boulevard des indépendances de Kinshasa. Oui, petit Philippe, croyez-moi, j’aurais exposé vos cuisses molles au Musée National de la Liberté Kisanganaise.
À vous, petit tigre en papier mal mâché, à vous, petite marionnette des colonies corrompues, à vous tous, inconscients démagogues africains de périphérie, vous tous qui soumettez notre Continent aux pillages occidentalisés, tôt ou tard, la vérité ancestrale sévira au nom des Enfants de la Révolution, et vous paierez vos longues années laxistes de haute trahison.
À nous, fils et filles du grand Congo, sachons qu’il ne faut jamais renouer avec un bourreau au risque de tuer notre peuple deux ou trois fois de suite. Parce que tout Blanc qui se respecte n’est pas fait pour changer la nature de son être, parce que tout tyran qui se respecte est avant tout conçu comme tel, conçu pour perpétuer la mainmise de sa grande folie meurtrière au nom d’une voracité basée sur la servitude des personnes, des biens, des pays, des continents et de la planète. Parce que la prochaine fois, le feu, petit Philippe belgo occidental, fichez le camp de notre Congo Natal…
Maintenant !!!
Afrodescendance est extrait du recueil du Collectif L-SLAM En lettres noires (Midis poésie, 2024).
Ça pue est extrait du recueil Lisette Lombé, Tenir (Maeslstrom Révolution, 2019).
Moi tigritude du Congo de Samy Manga est un extrait de La dent de Lumumba, (Météores, 2024).
Ces extraits sont publiés avec l'aimable autorisation des éditeurs et auteur·ices
